Après une bonne nuit passée au campement installé par Itsuki l’artisan et Saku le chasseur, l’équipe également composée de Shizuku la guérisseuse et de Sora le ménestrel se mit en route. La pluie de la veille avait cessé et l’air sentait bon les fleurs de printemps, ce qui inspira à Sora un chant joyeux. La route étaient encore longue et serait peut-être semée d’embûches. Il faudrait d’abord traverser une grande forêt, façonnée par de magnifiques dragons aux antennes feuillues et lumineuses, avant d’atteindre le village de Kodaa où, dit-on, des gobelins-chats détroussaient les passants. Haut dans le ciel, un geai, avatar d’un homme-dragon bleu, observait la petite troupe avec attention…
RYUUTAMA – NATURAL FANTASY R.P.G.
C’est l’ambiance générale qui se dégage de ce jeu de rôle japonais conçu par Atsuhiro Okada (岡田篤宏), publié en 2007 par JIVE et traduit en français par l’éditeur Lapin Marteau en 2013. La belle illustration de couverture réalisée par Ayako Nagamori (永盛 綾子) donne le ton avec une touche à la fois légère et kawaii, et situe bien le sujet principal du jeu qui est l’émerveillement du voyage et les rencontres. Deux jeunes voyageurs, équipés de pied en cap comme il se doit au Japon, et accompagnés de leur chien parcourent un vaste pays, encadrés sur la page par quatre dragons qui veillent sur eux. Dans cet univers de fantasy poétique, les dragons ont façonné les paysages et les climats, ce ne sont pas des créatures à combattre. Comme le dit Atsuhiro Okada dans la post-face à l’édition française, les dragons « incarnent la douceur bienveillante et la force implacable de la nature », et cela est sans aucun doute l’inspiration la plus japonaise de ce jeu.
Le monde que parcourent les voyageurs n’est pas défini, mais il est peuplé de créatures originales qui donnent une ambiance particulière à ce jeu de rôle. Les fameux gobelins-chats, ou leur pendant répugnant les gobelins-cafards, sont bien sûr accompagnés de certaines créatures classiques de la fantasy, mais on trouve également des Plantes Fantastiques comme l’Aubergine Symbiote qui se développe en parasitant d’autres êtres vivants, le Champignon Tigre qui draine les fluides corporels, ou encore l’immense Arbre Lumière qui éclaire les alentours de son feuillage lumineux. La poésie est également présente avec les Roches Enchantées qui se sont éveillées à la conscience, comme le Métal-Etoile, fragment d’étoile filante qui communique par télépathie et permet de forger des épées merveilleuses, le Moai, roche enchantée craintive ressemblant à un visage humain (Roll East en a vu à Shibuya…), ou bien encore le Cristal Symphonique niché au coeur de cavernes profondes et dont la musique mémorielle unit les êtres vivants.
IDEES ORIGINALES
Si le monde de Ryuutama n’est pas décrit plus en détail, c’est parce que Atsuhiro Okada a souhaité encourager la co-création entre le meneur et les joueurs. Okada travaillait depuis 2002 dans un café jeux de rôle, Table Talk Cafe Daydream, aujourd’hui situé près de Kanda à Tokyo, et il animait des parties en tant que meneur de jeu. Cette expérience lui fit prendre conscience qu’une co-création de l’histoire avec les joueurs lui faciliterait la création du scénario et rendrait la partie plus motivante pour les joueurs. Dans Ryuutama, cette co-création intervient au cours de discussions entre le meneur et les joueurs pour créer les villes traversées et quelques éléments clefs de l’univers de jeu. Le 1er supplément fournira d’autres outils pour créer la carte de la région et encourager la narration partagée.
Atsuhiro Okada souhaitait également que les joueurs puissent plus facilement devenir meneur de jeu à leur tour, et c’est comme cela qu’est né le concept des hommes-dragons (竜人), l’autre originalité majeure du jeu de rôle Ryuutama. L’homme-dragon est un personnage incarné par le meneur de jeu et pouvant influencer l’histoire. Il a des pouvoirs qui lui permettent de donner aux joueurs un coup de pouce bienveillant, ou de se sortir lui-même d’une situation mal maîtrisée, mais le tout dans un cadre bien défini. Le choix d’un homme-dragon et de ses pouvoirs (artefacts, souffles) permet au meneur de donner une teinte particulière à chaque partie, et le fait de l’annoncer aux joueurs dès le début facilite l’immersion de tous dans le même contexte. Il y a quatre sortes d’hommes-dragons, l’homme-dragon vert favorisant la liberté et les quêtes, l’homme-dragon bleu plus fraternel et tendre, l’homme-dragon rouge aux défis héroïques, et l’homme-dragon noir plongé dans le chaos.
REGLES DU JEU
Les règles du jeu sont simples et accessibles, avec parfois un coté « old-school » (mais le jeu date de 2007). La mise en page, très structurée comme dans tous les jeux de rôle japonais, est très aéré et les décorations de dragons des quatre saisons sont particulièrement réussies.
Les personnages sont des gens normaux, en aucun cas des héros, et sont définis par leur métier (chasseur, artisan, ménestrel, guérisseur…), un talent principal et un type (attaque, technique ou magie). Ils ont quatre attributs, l’agilité (AGI), l’intelligence (INT), l’esprit (ESP) et la vigueur (VIG). A chaque attribut correspond un dé : d4 à d8 au début, jusqu’à d12 par la suite. Lors d’un test, on compare le score de deux dés et d’éventuels bonus avec un niveau de difficulté. On utilise par exemple les dés de INT et ESP pour négocier, ceux de VIG et AGI pour se déplacer au cours de la journée. C’est simple mais les combinaisons sont nombreuses. Les personnages ayant le type magie peuvent lancer des sorts, dont une partie est liée à leur saison préférée. On retrouve à nouveau ici le lien entre les personnages et la nature.
Les règles de combat sont bien conçues, avec une partie tactique simple (positionnement au front ou à l’arrière), et la créativité des joueurs est encouragée par l’attribution d’un bonus quand on utilise un élément de la scène de combat (sauter depuis un monument, tirer à l’arc caché derrière un chariot renversé etc..). Une même valeur détermine à la fois l’initiative et la difficulté à être touché. A chaque arme correspond deux attributs différents (INT+AGI pour l’arc, VIG+AGI pour l’épée longue…) ce qui complique un peu, mais le nombre d’armes est heureusement limité.
Les règles détaillés ayant trait aux objets ou à la nourriture et l’eau sont plus surprenantes pour un jeu de rôle qui se veut facile d’accès. L’encombrement, la résistance ou bien encore les spécificités faisant varier le prix des objets sont pris en compte. Il est suggéré qu’un joueur prenne en charge le rôle d’intendant pour gérer les ressources de manière commune. Un mode « pique-nique » permet de se passer de ces règles, mais Atsuhiro Okada les a voulu afin de donner un coté plus réaliste au voyage.
UN VOYAGE PERILLEUX
Les paysages traversés ont des niveaux de difficulté dont l’importance s’avère cruciale. En effet, des test d’orientation et de déplacement sont nécessaires à chaque jour de voyage, et un échec à un test de déplacement fait perdre la moitié des Points de Vie ! Si l’équipe fait un bon campement, tous les personnages doubleront leurs Points de Vie le soir, mais des échecs successifs peuvent vite conduire à une situation assez rude… Dans Ryuutama le voyage n’est pas un intermède entre deux destinations, il est au centre de l’histoire partagée entre le meneur et les joueurs.
La version française est particulièrement réussie, avec une mise en page identique à la version japonaise et l’ajout par Lapin Marteau des très bons « conseils de maîtrise » et de la post-face de Atsuhiro Okada, qui sont essentiels à la bonne compréhension de ce jeu.
SUPPLEMENTS
Deux suppléments sont parus au Japon en 2009, et ont été partiellement traduit en français par Lapin Marteau dans le supplément « traversées » qui contient aussi un écran très utile (la version japonaise n’en a pas).
« 1er passeport – brimbalé dans un périple de calèches et de voiliers » permet de prolonger l’expérience du jeu et du voyage en calèche et en bateau, la partie maritime étant certainement la plus intéressante. La partie non traduite en français développe la co-création de la carte des régions traversées et propose 36 idées de scénarios classés par paysages, sous-forme de textes à compléter par les joueurs. On y trouve aussi des tables d’évènements qui encouragent souvent la narration par les joueurs. Par exemple « un petit animal effrayé te regarde. Tu te souviens alors d’une expérience effrayante que tu as vécu dans le passé ».
« 2eme passeport – voyage autour des cités et des mondes » introduit enfin quelques éléments d’univers propres à Ryuutama. Tout d’abord cinq lieux pouvant servir à diverses aventures : une vieille ville tranquille d’ambiance japonaise (sources chaudes, marchands de tofu), une île mystérieuse aux tortues, une ville de gobelins-chats aux missions périlleuses, une ambiance pluvieuses dans une cité à flanc de montagnes, et un village de radeaux en bord de mer. Ensuite un « monde de chansons anciennes » auquel est associé des règles complémentaires, comme l’étrange règle d’investigations qui ressemble plus à un mini jeu de plateau qu’à du jeu de rôle, des variantes de règles de voyages, et des tables aléatoires de création de PNJ. Lapin Marteau a traduit en français la partie de ce supplément qui permet aux joueurs d’interpréter des gobelin-chats.
Aujourd’hui, Atsuhiro Okada est le propriétaire du café de jeux de rôle Monodraco près de Kagurazaka à Tokyo. Ce n’est pas très grand, mais l’accueil est très sympathique et un soin particulier est apporté à l’ambiance. Sur le site web, de toute beauté, on peut réserver des tables pour jouer entre amis, ou participer à de nombreux jeux de rôles avec l’aide d’un meneur de jeu pro de Monodraco, y-compris Okada-san lui-même ! Enfilez vos bottes de voyage et courrez-y !
Ryuutama en français chez Lapin Marteau
Ryuutama en japonais en impression à la demande et replays
Café de jeux de rôle Monodraco
Café de jeux de rôle Daydream
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